La résilience, un super-pouvoir ?

Je fais paraitre ces jours un article dans un magazine suisse* sur le thème de la résilience. Je vous dévoile ici quelques-unes de mes réflexions.

Je questionne la valeur quasi unanimement appréciée que l’on prête aux personnes résilientes – dont je suis **. Est-ce un atout ? Une manière cachée de laisser à d’autres le travail de la survivance ? La société axée sur la compétitivité, ne valorise-t-elle pas encore une fois, la compétition avec soi-même ? Le résilient montre une aptitude relativement rapide à dépasser le désarroi de la perte. Ce super-pouvoir que l’on admire, nous oblige à être performants, positifs, toujours au top de nos capacités. Sommes-nous voués à survivre ?

*Revue Recto-Verseau **Mon dernier livre paru

Rappel

La résilience est un concept vulgarisé par Boris Cyrulnik à la fin des années 1990, qui fait à présent partie du langage commun. Dès qu’une personne se porte mieux après un évènement fortement impactant, elle est considérée comme résiliente. La résilience est à comprendre comme la capacité à rebondir, à se reconstruire après un choc affectif.

Le résilient montre une aptitude relativement rapide à reprendre le « dessus », voir sa place au travail. Il redevient curieux, intéressé, là où d’autres se résignent et se figent dans la tristesse, la peur, l’impuissance. Une forme de force vitale particulière l’accompagne et il fait souvent l’admiration de ses ami.es et collègues. Certes, il « fonctionne » plus qu’il ne vit, dans un premier temps; un temps indispensable au deuil, à la prise de conscience du vécu, à la compréhension du changement à venir, des conséquences à porter. Mais… le voilà au moins debout, le /la survivant.e !

Un plus pour l’entourage

Sa capacité à rebondir, il faut l’avouer, est agréablement vécue par son entourage. Rien de tel que des éternelles victimes pour nous lasser à la longue; l’ambiance devient contagieusement lourde. Or, le résilient pousse tout le système familial, amical, social à avancer. Les proches, parfois tout aussi impactés par la survenance d’un drame, ne sont pas confrontés aussi longtemps que dans d’autres familles ou communautés. La personne prend sur elle et protège son entourage par les ailes de Phénix qui lui ont poussé. Elle est de retour dans le grand mouvement de la vie.

La résilience, vécue de l’intérieur

Comme résilients, nous ne NOUS pensons pas comme tels, au moment des faits qui nous affectent : nous survivons. Nous nous raccrochons au morceau de bois qui reste d’un radeau en perdition. Certes, nous avons la volonté de ne pas nous laisser couler, mais de quoi serons-nous faits, de retour sur la berge ? Bien sûr que nous avons pris l’option du verre à moitié plein plutôt que celui du verre à moitié vide, mais il n’en reste que la moitié. Est-ce que nous pourrions faire autrement ? Est-ce vraiment un choix ?

Le résilient vous dira qu’il ne le fait pas exprès, qu’il n’a pas choisi de faire le kangourou (ma manière toute personnelle de nommer les résilients). En survivance, il endosse cette étiquette lorsqu’il est capable de regarder en arrière et de voir sa traversée. Mais, ne prenons pas le radeau pour une embarcation fiable ; le résilient rame, coule et rame encore.

La résilience est perçue comme un super-pouvoir

Ce super-pouvoir est – selon moi – particulièrement valorisé, car portée aux nues par une société à dominance compétitive et extrêmement exigeante envers ses membres. Comme résilient, je suis PLUS fort que, PLUS habile que, PLUS courageux que. Je me bats contre l’impuissance, je me bats contre l’injustice, je me bats contre la mort et cette guerre permanente n’est pas forcément « une vie ». Quel est le prix à payer pour ce soi-disant pouvoir ?

La personne résiliente, même si cela peut paraitre paradoxal, ne prend pas vraiment soin d’elle. Elle reste profondément meurtrie, vulnérable, réactive, mais ne s’en inquiète pas. Se préoccuper de soi mettrait en échec l’avancée vers le vivant, le mouvement perpétuel qu’il faut impérativement suivre. Mais, pour réussir son retour sain au port, le résilient va devoir oublier les « regardez, j’y arrive seul ! » et savoir demander de l’aide. Ou – et c’est l’un des buts de cet article – avoir auprès de lui, des personnes suffisamment attentives pour écouter le profond et non le superficiel: aller toucher la vulnérabilité et l’aimer. Nous pouvons aisément passer à côté des besoins d’un résilient ; besoins dont il nie souvent l’importance, tant il est occupé à « rester à flot ».

Ne considérer que la part résilience de l’autre, équivaut à nier cette fragilité pour ne voir que la force dont la personne a fait preuve.

Résilient un jour, résilient toujours ?

La vie n’est pas un long fleuve tranquille et les épreuves se succèdent. Faudrait-il toujours tout supporter ? Les personne résilientes peuvent aussi se fatiguer à perpétuellement subsister, vaincre, gagner. J’émets l’hypothèse que la résilience devrait être passagère, pour laisser place à des incapacités admises et accompagnées avec sérénité, sans aucune culpabilité. Car quelle terrible injonction que de DEVOIR survivre à tout !

Laissons donc la place à nos émotions, accueillons même celles des personnes que nous pensions les plus fortes, capables de… Ne pensons pas qu’il s’agit d’un échec, ne nous laissons pas emporter par la peine de l’autre: lavons ensemble nos souffrances à la source de notre humanité partagée. Après, seulement, nous redeviendrons habiles à l’émerveillement. Après, seulement, nous souriant les uns aux autres, nous vivrons une vie pleine, creusée à même-de-soi, par les peines, les souffrances, les joies et les rires.

Vous pourrez retrouver l’intégralité de l’article sur la page, à la fin de mois de mars.

Dernière parution : mon récit de vie « En quête de mère ». Un exemple de résilience à découvrir ici. Sur cette page, écoutez les podcasts, les interviews; du vivant, du partage autour du livre.

« Marianne Grasselli Meier a choisi de guérir et d’oser explorer des terres encore inconnues et de nouvelles façons de se mettre au monde. »

Claire Jozan-Meisel, yogini, herbaliste, doula et facilitatrice de cérémonies pour une spiritualité de la terre. Auteure du livre Les Sagesses du cercle – La résurgence de la spiritualité féminine

4 comments on “La résilience, un super-pouvoir ?

  1. Merci Marianne pour ce joli article.

  2. Merci Marianne pour ce « droit à la fragilité » des résilients… N’est-ce pas par les failles que s’infiltre la lumière ?

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