Le cercle des sans-paroles

Détrompez-vous ! Le cercle dont je parle ici, ne concerne pas les personnes muettes ou mutiques. Il vous est bien destiné. Ce n’est nullement un espace pour des déficients intellectuels ou des personnes en mal de communication. Tout au contraire… Ce cercle est destiné aux « parlent-trop » aux « pensent-trop ». À l’ère de la parole salvatrice, peut-on imaginer se rencontrer sans parler, sans « se » dire, sans vouloir exister par l’usage des mots, de la compréhension immédiate ?
Durant ce temps hivernal où la nature, extérieurement, se tait, je vous invite à cette réflexion.

« Tais-toi et mange ! « 

« Tais-toi et mange ! » Historiquement, la parole est hiérarchique, consensuelle et … dangereuse. Nous ne parlons pas de tout ni partout. Lors de conflits, la parole est dangereuse. Elle est porteuse de vérités ou de valeurs qui, en se diffusant, peuvent se retourner contre ceux qui les profèrent. La parole est rumeur. La parole politisée peut s’avérer creuse, manipulatrice et uniquement s’adapter aux besoins de pouvoir. Nous pensons et nous parlons de ce qui est acceptable. N’avons-nous pas – au moins une fois – exprimé le souci de ne pas parler de certains thèmes dans le cadre de la famille (Noël est un bon exemple!), de la venue d’un proche, d’un collègue ou en présence d’un.e supérieur.e ?

Il n’y a pas si longtemps que les enfants ont droit à la parole à table. Leur vécu n’intéressait personne. Leurs mots étaient d’office jugés comme partiels et non pertinents. Il a fallu Dolto*, en particulier, pour nous rappeler que dès notre naissance, nous exprimons des affects. C’est dire que prendre la parole est un acte puissant aux multiples répercussions affectives et sociales.

Que ta parole soit impeccable

Que ta parole soit impeccable, prône Don Miguel Ruiz, qui est l’un de ses quatre accords toltèques. L’impeccabilité relève d’une exigence morale personnelle; ne pas se faire du mal par la parole (dénigrement), ne pas faire du mal à autrui (jugements, mensonges, rumeurs). L’exigence morale demande une mise en lumière de ses propres habitudes de fonctionnement. Ce que je souhaite exprimer relève-t-il d’un besoin de reconnaissance personnelle? Est-ce le nécessité de m’identifier à une posture qui me fait exister? Ce que je souhaite exprimer est-il un acte de violence à peine déguisé? Ma parole traduit-elle une insatisfaction, une vengeance?

Les réseaux sociaux sont des plateformes pour toute forme de déviances de la parole, ici écrite. Et j’écris le mot déviance, comme un détour hors du centrage personnel. Cela devient un flux de mots non mâchés par l’intériorité, par le retour conscient vers soi. Et je nomme déviance, la non prise en compte des conséquences de la parole dite ou écrite. Sommes-nous conscient.es que ce sont ces réactions mêmes qui sont recherchées, titillées par les médias ? Communément dit, cela va faire le buzz !

Les médias attendent les possibles conséquences de nos paroles: elles font le buzz !

Les secrets

Il est nécessaire et vital de dire ce qui nous reste à travers la gorge. Garder des secrets mutile la personne impliquée. La parole fait le sujet; l’Être qui prend la parole a un droit. Est-il pour autant entendu? Certes non et cela fait le lit des secrets. Ceux-ci, ne pensant pas être validés, restent dans l’ombre. La parole est une mise en lumière pour soi, dans le cadre d’une reconstruction personnelle en thérapie. Et également pour la société dans sa globalité, car elle permet l’ouverture de plaintes pénales, de modifications légales, en vue d’une meilleure protection de chacun.e. La parole délie les secrets et offre une voie vers un possible pardon.

Parler pour se parler – le selfie sonore

Revenons vers l’espace le plus privilégié de la parole: l’amitié. Il est coutume de se représenter l’amitié comme une opportunité que s’offrent deux êtres (ou plus) de TOUT pouvoir dire et d’avoir le privilège d’être entendu.e. Donc, en priorité, de n’être pas jugés. L’amitié permet l’empathie. Elle se fonde sur une connaissance mutuelle qui permet de se mettre à la place de l’autre. L’amitié permet d’oser questionner les besoins et les choix de chacun.e, à nouveau sans être jugés et si possible sans craindre le rejet. Cet espace de non-jugement, offert au bébé s’il grandit dans un cadre sécure, est un besoin fondamental. Nous apprenons par nos tentatives, nos réussites et nos erreurs. Que faudrait-il juger dans ce processus individuel qui nous construit tout au long de notre vie ?

A contrario, nous faisons l’expérience d’ami.es que nous n’invitons plus, tellement nous sommes touchés, puis agacés par leur ritournelle de victimes incomprises. Finalement notre seul souhait – après avoir offert d’inutiles conseils – est qu’ils ou elles… évoluent ! Si elle s’exprime de trop, la parole efface son efficacité de révélation. Elle s’épuise et épuise l’entourage. La parole peut devenir un selfie sonore qui ne satisfait jamais celle ou celui qui la prononce sans cesse. Elle rend compte- comme une photographie – mais ne transforme rien.

La parole peut devenir un selfie sonore.

Le cercle sans mots

J’ose proposer, au sein du Cercle de Grâce, des temps de célébrations hors parole et où, paradoxalement, tout l’Être se dit. Ce cercle a été créé il y a 24 ans et poursuit sa ronde de cérémonies à chaque solstice et équinoxe annuels. Formée en musicothérapie, j’ai cette longue expérience: la parole peut perdre l’individu et le décentrer de son essentiel. Ce cercle permet un retour au corps, à la gestuelle, à l’expression vocale hors du verbe et du « compréhensible »; un retour vers l’inconnu de soi qui ne trouvait pas ses mots, mais qui se redécouvre. Quelle magie que ces révélations !

Les gardiennes de ce cercle créent des rituels à chaque fois exclusifs**. Quelques mots à peine murmurés à l’oreille, des corps qui montrent un mouvement à suivre, des fils qui se tissent, des murmures ou des cris à partager… Le tambour qui contient, rassure, donne l’élan et fait vibrer l’âme. La vie en nous se manifeste et non le contraire; cela fait toute la différence! On se retrouve car on s’était oublié.e dans trop de paroles. A la fin de ce cercle, nous sommes régénérées. Nous ne savons rien du vécu de l’autre, nous avons partagé un moment d’exception qui n’a même pas besoin d’être relaté. Tout est dit, car vécu!

Les soins-racines, un oracle sans paroles

Un autre exemple de ce « sans paroles », est la création de mon oracle des Soins-Racines***. Créé pour nous relier à la Terre Mère, il est accompagné d’une proposition de rituel pour ses tirages. Mais, aucune carte n’est explicitée. Pas de livret apportant des explications auxquelles se référer. Cela ne serait que mes explications, mes propositions. Ici: Silence et ouverture au vécu personnel. C’est dans ce creuset, tout en réceptivité, que le lien à la Terre peut s’effectuer. La promesse d’un retour à soi et non à son mental hyperactif, perdu dans ses dédales d’informations connues.

Comment faire autrement qu’avec un oracle usuel ? – la mise en condition proposée – le contact à la Terre-Mère – le choix de sa carte – se laisser imprégner par le graphisme. Celui-ci parlait déjà à nos ancêtres, il y a des milliers d’années. – en retirer un message.

Une possible 2eme étape: lire le thème de la carte – le retour au corps – un contact à la Terre-Mère – en retirer un message.

Une possible 3e étape: ajouter au graphisme et au thème, les mots de la carte. Leurs fonctions est d’ouvrir une voie possible entre votre inconscient et votre conscient. Rien de figé ou de déterminé; un passage. L’oracle des Soins-Racines rappelle la nécessité de ne pas se laisser dominer par les informations, les associations connues et rabâchées. Si aucun message ne vient sur l’instant, l’oracle invite à ce silence constructif, à une attente sereine. Telle la saison hivernale, rien ne semble vivre à l’extérieur, mais le sens germe du dedans, avant de poindre à la conscience.

Parole vite dite vite oubliée. Parole self-productive. Parole non maitrisée. Parole vivante. Parole assumée. Parole en écoute réciproque. Parole qui devient pulsation. Parole unique. Parole qui se tait car l’Être s’est dit. Silence.

Ci-dessous, deux planches issues du Mutus Liber, le livre qui se tait; le traité alchimique de 1702, le livre d’une possible transformation personnelle. Ou … comment entrer dans la matière, œuvrer au cœur de la Terre, ouvre une voie de libération.

Je vous souhaite un doux temps de rencontre avec votre Être. Pour le bien de tous

et de la Terre-Mère.

*http://af.bibliotherapie.free.fr/article%20l%27enfant%20est%20une%20personne.htm

** Le Cercle de Grâce existe en Suisse et en Belgique. Dates des initiations « Le Chant de Grâce », auprès de Monica Gonseth.

** L’oracle des Soins-Racines sera à nouveau disponible en pré-commande durant un mois, dès le 20 janvier. A découvrir ici.

4 comments on “Le cercle des sans-paroles

  1. Lasserre Moutet Aline

    15/01/2024 at 7 h 59 min Répondre

    Merci Marianne pour ce texte inspirant. Belle proposition que de nous questionner sur ce que nous faisons avec nos mots. Je suis nourrie 🤩

    • Marianne Grasselli Meier

      15/01/2024 at 10 h 32 min Répondre

      Merci à toi pour ton retour; cela me fait plaisir de pouvoir partager et tant mieux si cela fait des résonances. Plein de douces pensées vers toi pour une année 2024 emplie de petites joies et de gratitudes.

  2. Merci Marianne pour ce très beau texte inspirant. En effet , lors de l’animation de l’atelier des soins Racines à Namur. J’ai observé ces paroles silencieuses , ces conversations avec le dedans. J’ai vu une femme qui parle habituellement bcp essayer de partager avec la femme à côté d’elle. Et bien , elle fut remerciée, tant la comapgne de cercle était en conversation avec elle même et ne souhaitait être dérangée.
    Et je me rapelle aussi de ce silence riche d’énergie lors de l’atelier que j’ai vécu avec toi. Cet oracle nous rapproche de l’intime avec soi que nous perdons.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *