Jouer du tambour, un pouvoir retrouvé

En 1997 Layne Redmond fait paraitre son livre  When the drummers were women[1], un livre de référence sur l’histoire du tambour – ou tambourin – ou tambour à cadre –  joué initialement et universellement par les femmes depuis l’Antiquité. Une histoire non seulement musicologique, mais également sociologique où nous découvrons, sous ce biais-ci, comment le patriarcat a destitué ce pouvoir rythmique aux femmes pour se l’approprier. Mais la roue tourne: les femmes jouent à nouveau du tambour ! Le tambour accompagne à nouveau la vie, la mort et tout besoin d’universalité.

Le tambour sur cadre

Le tambour à cadre est un instrument que l’on retrouve dans le monde entier dont les cultures qui bordent la Méditerranée. Formé d’un cadre de bois identique à celui du tamis utilisé en agriculture, il fait référence au lien à la terre, aux semences que l’on trie pour une récolte la plus abondante possible. La peau tendue est – et le reste encore aujourd’hui tel que cela me fut confirmé en Sicile en juin 2023 – celle d’un animal que la joueuse ou le joueur de tambourin a particulièrement affectionné. Dans le chamanisme, il est courant d’affirmer que l’animal offre sa peau et avec elle son pouvoir au musicien. Dans les campagnes autour de la méditerranée, on recherche plutôt à ré-animer son animal préféré, en lui offrant de jouer avec lui et sa peau. 

Selon cette auteure, le cercle du tambour fait référence symboliquement à la rondeur de l’astre lunaire et les cymbalettes ou les anneaux qui l’entourent, initialement en argent, accentuent encore cette relation.

Le pouvoir de la transe

Universellement, le jeu de percussions induit une conscience modifiée. La répétition lancinante de rythmes soutenus, modifie notre attention. Le cerveau passe en mode d’ondes Alpha voir Thêta. Sa fonction de contrôle et de vigilance est dérivée et permet plus d’ouverture, de réceptivité à d’autres perceptions jusqu’ici non accessibles. Ainsi, ces rythmes ont-ils été utilisés pour accompagner les rites de passages, les temps de morts et de résurrection; de nouvelles perceptions ouvrent la porte à un autre nous-mêmes, renouvelé.  Les percussions sont également utilisées pour leur pouvoir direct sur le corps. Nul ne peut s’abstenir de bouger ou de danser sur des rythmes puissants. Les femmes en jouaient pour stimuler les contractions lors des accouchements. La couleur rouge était largement appliquée sur les cadres, afin de rappeler le lien entre le rythme et la vie, entre la vie et le sang (des femmes).

Déesses et dieux grecs :  le pouvoir de la vie

Cybèle, l’une des grandes déesses primordiales, porteuse du pouvoir de vie et de mort, celle qui traverse les mondes, est représentée jouant du tambour. Ses prêtresses recherchaient par le jeûne, la prise de substances psychotropes et le jeu au tambour, des états de conscience modifiés, leur permettant d’accéder à des messages intuitifs servant leur communauté (prophéties).

 Dionysos, le dieu du vin et de la transe sacrée s’entourera par la suite de bacchantes : ces joueuses de tambourin qui conduisaient les processions sacrées et favorisaient l’accès à une transe collective. Cette même transe désinhibaient les participant.es et des rites de fertilité – comprenez ici des actes de sexualité sacrée – accompagnaient souvent ces temps de célébration de la vie. Il en restera la célébration des Carnavals à la fin de la période hivernale.

Demeter, la puissante déesse mère de la nature, est appelée « la bruyante », car elle joue du tambour en cherchant sa fille Perséphone, emportée dans le monde souterrain. Celle-ci d’ailleurs possède son propre instrument qui lui permet de voyager entre le monde souterrain et le monde du milieu, lorsqu’elle décidera d’alterner sa présence entre ces deux mondes et d’ainsi créer l’alternance des saisons de la nature.

Ces déesses seront au centre des cultes des Mystères destinés aux femmes durant toute l’Antiquité dont les fameux  Mystères d’Éleusis. Prier, comme l’explique Layne Redmond, sera intimement lié aux rythmes de percussions et à la danse que ceux-ci entraînent. « Prier, c’est danser au rythme du tambourin ». L’avènement du christianisme annoncera la fin de ces rites féminins. Il fera faire silence, interdira les instruments durant les rituels. Pour vous informer au mieux sur le passage progressif du culte de la déesse « bruyante », au patriarcat muselant femme et tambours, je vous invite à lire le livre précité.

Être unis face à la mort

Si la transe accompagne la renaissance symbolique et la vie, elle est la compagne de la mort. Lors des anciens rites funéraires, il était coutume de jouer et de pleurer « fort ». L’expression extatique de la peine éloignait également les mauvais esprits et soudait la communauté face à la violence vécue du deuil.

Chacun.e de nous ayant joué du tambour – ou tambourin – en groupe en a fait l’expérience : le vécu d’appartenance est immédiat. Jouer en même temps, le même rythme, unit, rassemble, fortifie l’individu par affinité de corps et d’esprit à ses semblables. « L’union … rythmique… fait la force ». De plus, jouer du tambour est pleinement gratifiant.

Cette puissance à la fois d’appartenance communautaire et de valorisation personnelle va devenir une manière de s’unir face aux divisions de la société contemporaine.

Les minorités

Revendiquer son pouvoir personnel, sa puissance de vie, le retour à des forces instinctives vitales, devient une quête depuis la fin des années 60. Enfermé.es dans un carcan de bonne conduite imposé par des codes vieillissants et non évolutifs, les jeunes générations recherchent des espaces de libération personnelle. Le tambour permet de renouer avec le pouvoir du corps, un corps libéré sexuellement. Le tambour invite à retrouver une adhésion immédiate avec ses pairs. Le tambour offre un retour à des connexions primordiales à la nature (chamanisme).

Les minorités qui se sentent injustement opprimées dans ces besoins vitaux de re-naissance à un soi libre, vont retrouver le pouvoir du tambour !

Alors que les tambourins deviennent, dans les campagnes de Sicile, par exemple, de beaux objets placés en décoration au mur, les jeunes femmes et parmi elles des musicologues, font des recherches pour retrouver les rythmes des anciennes célébrations. Les femmes âgées n’ont pas perdu leur savoir et transmettent leurs connaissances qui sont diffusées mondialement grâce à des femmes exceptionnelles telles qu’Alessandra Belloni[1].

Nous découvrons alors que ces rythmes utilisés tout autour du bassin méditerranéen, ne servaient pas uniquement pour des célébrations mais aussi pour des guérisons ; en particulier pour soutenir les femmes abusées. Grâce au rythme des tambours, elles se dé-possédaient de l’impuissance vécue lors de leurs viols.

Abusés : n’est-ce pas le mot à employer pour qualifier toute personne opprimée, toute minorité raciale, ethnique, genrée, etc… ? Les divisions au sein de nos sociétés sont multiples.  

Aujourd’hui, comme le montre la photo prise lors de la Gay Pride de Palerme en juin 2023, le tambour redevient un symbole vivant de liberté individuelle et d’appartenance.

Comment jouer en conscience

Jouer du tambour peut permettre une reconnexion immédiate à votre intériorité, à la personne que vous êtes et qui pulse, le plus archaïquement possible, avec le battement de votre cœur. À cette dimension personnelle, s’ajoute un lien tout aussi immédiat avec ce qui vous entoure : d’autres instruments, d’autres voix ou la nature.  La nature, comme votre corps, se décline et se nuance au fil des saisons de votre vie.

Je vous propose plusieurs enseignements en vidéos pour apprivoiser votre tambour ; à découvrir sur mon site dans la page boutique.

Une initiation au tambour – des règles simples et utiles pour jouer en groupe – et comment amplifier vos intentions grâce à cet instrument.

Mon oracle des saisons est également un bel outil d’initiation au tambour: chaque carte correspond à un rythme que vous pourrez soit apprendre à jouer via ma chaine youtube, soit écouter pour vous imprégner de sa présence lors de votre tirage.

Rendez-vous est pris entre vous et votre tambour!


[1] site d’Alessandra https://alessandrabelloni.com/  Son livre La Vierge Noire est édité en français aux Éditions Leduc et j’en ai écrit la préface.


[1] Le livre est édité en français par les Éditions Leduc en 2019 sous le titre « Femme Tambour ». N’y figurent pas les nombreuses images de référence de l’auteure. Synchronicité avec cet article : le 28 octobre 2023, est le 10e anniversaire de son décès.

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